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Explication linéaire : Sensation, Cahier de Douai
(Rimbaud)

Explication linéaire...

Ci dessous, tu trouveras une explication linéaire du texte en question. Il existe une vidéo (en cliquant ici ou en dessous) où ce même texte est également expliqué... avec en plus quelques outils de méthodes et de compréhension...

LE TEXTE

Sensation

Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, — heureux comme avec une femme.

Arthur Rimbaud - Cahier de Douai

 

INTRODUCTION

« Je laisserai le vent baigner ma tête nue. »

C’est en ces termes, tout en synesthésies, que Rimbaud évoque sa communion avec la nature… une communion où le réel et les hallucinations, semblent fusionner en un tout faisant de ce texte une véritable ode à la poésie et aux émotions viscérales, déconnectées de tout intellectualisme. Cette posture se retrouve largement dans Les cahiers de Douai, un recueil posthume que l’on peut facilement dater grâce à la lettre que Rimbaud adressa au poète Banville, le 24 mai 1870 et qui nous apprend que Sensation date du 20 avril 1870. Composé uniquement de deux quatrains, ce texte se rattacherait donc à la thématique du voyage, de l’errance, de la bohème mais aussi de cette volonté de lâcher prise au contact de la nature pour mieux célébrer les émotions brutes ardemment désirés par le poète. Pour une meilleure fluidité de cette explication, nous pourrons découper ce poème en deux axes, un par strophe :

- une nature personnifiée, quasi magique, exaltant les sens et les émotions (strophe 1)

- une invitation lyrique à se laisser guider par nos seules et uniques sensations (strophe 2)

Chacun de ces axes se découpera tous les deux vers pour mieux mettre en évidence la pensée rimbaldienne.

EXPLICATION LINÉAIRE

Une nature personnifiée, quasi magique, exaltant les sens et les émotions

 

1. Vers 1-2 : "Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers,
                    Picoté par les blés, fouler l'herbe menue : "

Ces deux premiers vers évoquent selon toute vraisemblance une ambiance chaude et estivale, ainsi qu’une nature luxuriante. La couleur bleue du soir crée une atmosphère particulière, pouvant potentiellement allégoriser la tranquillité. La marche dans les sentiers et le contact avec l'herbe menue suggèrent un rapport direct avec la nature que le poète personnifie.

-           L’adjectif « menu » renvoie plus souvent à une silhouette (un corps menu/ chétif/maigre) qu’à un paysage.

-          Le terme « picoté » renvoie à quelque chose ou quelqu’un pourvu d’un bec, de doigts ou d’ongles… pouvant piquer le dos de Rimbaud.

 

Quels effets provoquent sur moi de tels procédés ?

 

Avec les "soirs bleus d'été" et l’utilisation du mot "picoté", le poète met déjà en avant deux éléments sensoriels : la vue (« bleu »), le toucher (« picoté » sans oublier l'image de fouler "l'herbe menue" qui évoque la sensation tactile et renforcent le réalisme sensoriel). Cet aspect sensoriel est d’autant plus fort qu’il parait hyperbolisé par une Nature ayant le pouvoir de toucher et « saisir » le poète…

2. Vers 3-4 : "Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue."

 

Comme pressenti dans les deux vers qui précèdent, je remarque là encore dans les deux vers qui s’annoncent trois confirmations :

-          L’impression d’errance et de fugue, tant physique que psychique… rendue ici visible avec l’adjectif « rêveur », épithète détachée par une virgule.

-          Ce sentiment tactile laissant la part belle au toucher pour mieux nous immerger au sein de ce paysage de nature… (« sentirai », « fraicheur », « le vent baigner ma tête nue » - « nue » et donc sans vêtements, directement en prise, à même la peau avec les éléments naturels)

-          La Nature semble prendre vie avec la capacité de procurer de la fraîcheur et de baigner la tête du poète. La fraîcheur ressentie aux pieds et le vent qui baigne la tête personnifient définitivement cette Nature perçue comme quasi magique… et créent ainsi une expérience sensorielle rendue d’autant plus vivante par une synesthésie

Une synesthésie, c’est quoi ?

La synesthésie, cela peut être voir un son, entendre une couleur, goûter une odeur…

Très fréquente dans la poésie, elle permet souvent aux poètes de dérégler « notre machine à ressentir » un peu trop sage… Confondant des sens ou bien des éléments a priori inconciliables, elles nous obligent à voir/entendre/ressentir autrement le texte (et donc le monde !) qui nous entoure ! Un exemple dans le poème de Rimbaud ?

Le procédé est ici parfaitement visible grâce aux mélanges des éléments avec la terre (« j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds »), l’air (« le vent ») et l’eau « baigner »).

La synesthésie, en reliant des perceptions venues d’éléments différents, créerait donc un vaste phénomène de correspondances entre les sensations et ce paysage dans lequel s’imprègne Rimbaud. L’idée du poète, ici, semblerait bien de dérégler les sens un peu basiques et étriqués de ses lecteurs pour mieux leur donner envie de voir le monde autrement !

Mais comment voir ce monde avec le regard frais et candide du poète ? La 2ème strophe nous donnera vraisemblablement quelques éléments nouveaux…

 

Une invitation lyrique à se laisser guider par nos seules et uniques sensations (strophe 2)

3. Vers 5-6 : "Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l'amour infini me montera dans l'âme.
"

Impossible, ici, de ne pas voir l’anaphore et le parallélisme de construction mis en évidence par l’hémistiche et l’expression tout en négation "Je ne parlerai pas, je ne penserai rien". Les litotes, ici, suggèrent un abandon de la pensée rationnelle au profit d'une expérience sensorielle et émotionnelle. La montée hyperbolique de cet "amour infini dans l'âme" évoque une communion mystique avec la Nature, où l'Amour est un sentiment qui transcende la parole et la pensée.

 

4. Vers 7-8 : "Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémi-en,
Par la Nature, - heureux comme avec une femme.
"

Dans ces deux derniers vers, nous retrouvons l'idée qu’a le poète de s'éloigner comme un bohémien. La comparaison, sans nul doute, renforce l'idée de liberté et d'errance, évoquée dans le premier paragraphe. La dernière comparaison, quant à elle, insiste sur cette idée de bonheur partagé avec une femme… suggérant une intimité profonde avec la nature (toujours personnifiée avec un P majuscule, comme si elle avait la valeur d’un nom propre), une relation passionnée et fusionnelle.

Cette fusion, selon moi, est renforcée par le lyrisme du texte, sublimée dans ces derniers vers par :

-          Le « je » (« j'irai loin »)

-          L’assonance en « in »

-          La versification parfaite (vers réguliers en alexandrin, hémistiche, rimes)

 

Cette fin en apothéose, avec ce lyrisme triomphant, confirme complètement, d’après moi, l’invitation de Rimbaud. Une invitation, par les sensations brutes que procure la Nature, au lâcher-prise et à l’abandon total… un abandon où l’intellect n’aurait plus de prise pour mieux se laisser transporter par ses sens et se laisser griser par ces derniers. Selon mon interprétation, c’est cette posture qui permet au poète de faire venir les « hallucinations » qui lui sont chères afin de mieux recolorer la médiocrité de la réalité objective.

CONCLUSION

Pour conclure, nous avons donc vu dans cette explication que le poème met en scène une nature personnifiée, quasi magique, exaltant les sens et les émotions (strophe 1) pour mieux voir par la suite une invitation lyrique à se laisser guider par nos seules et uniques sensations (strophe 2) afin de mieux se laisser griser par ces dernières et mieux faire jaillir ses hallucinations magnifiant et transcendant le réel. Cette attitude préfigure, d’une certaine façon, le symbolisme à venir en poésie. Il annonce aussi l’état d’esprit du recueil en général où Rimbaud rêve d’un monde plus sincère, plus vibrant et plus authentique. En déplorant ces humains qui se nécrosent autour de lui dans un monde figé et toujours décevant, il espérera continuellement, de poème en poème, une résurrection de cette humanité à la dérive. Une résurrection qui passera, entre autres, par l’errance (comme dans « ma Bohème ») ou la communion avec la Nature (comme dans « Le dormeur du Val »). Cette vision peut largement se retrouver dans le tableau de Van Gogh intitulé La nuit étoilée (même importance accordée à ce que l'artiste ressent plus qu'à ce qu'il voit objectivement...)

On peut dès lors se demander si cette posture cache une fuite du monde ou au contraire une profonde reconnexion pour mieux le ressusciter et le faire renaître de ses cendres.

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