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Explication linéaire : J'aime l'araignée / Les contemplations
(Hugo)

Explication linéaire...

Ci dessous, tu trouveras une explication linéaire du texte en question. Il existe une vidéo (en cliquant ici ou en dessous) où ce même texte est également expliqué... avec en plus quelques outils de méthodes et de compréhension...

TEXTE

J'aime l'araignée

J'aime l'araignée et j'aime l'ortie,
Parce qu'on les hait ;
Et que rien n'exauce et que tout châtie
Leur morne souhait ;

Parce qu'elles sont maudites, chétives,
Noirs êtres rampants ;
Parce qu'elles sont les tristes captives
De leur guet-apens ;

Parce qu'elles sont prises dans leur oeuvre ;
Ô sort ! fatals noeuds !
Parce que l'ortie est une couleuvre,
L'araignée un gueux;

Parce qu'elles ont l'ombre des abîmes,
Parce qu'on les fuit,
Parce qu'elles sont toutes deux victimes
De la sombre nuit...

Passants, faites grâce à la plante obscure,
Au pauvre animal.
Plaignez la laideur, plaignez la piqûre,
Oh ! plaignez le mal !

Il n'est rien qui n'ait sa mélancolie ;
Tout veut un baiser.
Dans leur fauve horreur, pour peu qu'on oublie
De les écraser,

Pour peu qu'on leur jette un œil moins superbe,
Tout bas, loin du jour,
La vilaine bête et la mauvaise herbe
Murmurent : Amour !

                                                                          JUILLET 1842, Les Contemplations, Victor Hugo.

INTRODUCTION

« Il n'est rien qui n'ait sa mélancolie ; Tout veut un baiser. » 

C’est en ses termes que l’auteur en personne exhorte ses lecteurs à s’apitoyer sur l’araignée… et plus largement à tous ces êtres et à toutes ces choses que l’on aurait trop vite tendance à rejeter sous prétexte que nous les trouverions « laides ». Ces réflexions que je viens d’esquisser, elles viennent des Contemplations, le recueil poétique le plus connu de Victor Hugo, présentées comme « les Mémoires d’une âme ». Ouvrage poétique, largement autobiographique et divisé en deux parties (Autrefois et Aujourd’hui), le point culminant de cet ouvrage est celui d’un tombeau : celui de la fille du poète Léopoldine, morte le 4 septembre 1843, que Hugo évoque dans un poème bouleversant, le fameux « Demain dès l’aube ».

 

Chaque partie du recueil est composée de trois livres… et le poème que nous allons analyser se trouve justement à la fin du troisième (« Les luttes et les rêves ») de la première partie, celle qui relate la misère dont le poète est témoin (le plus connu étant le fameux  « Melancholia »).

« J’aime l’araignée », pour sa part, est un poème constitué de sept quatrains, alternant décasyllabes et pentasyllabes, et exprimant une empathie, une solidarité surprenante pour des êtres ou choses inspirant plutôt généralement la peur ou le dégoût : l’araignée et l’ortie.

Pour la fluidité de mon explication, je découperai le poème en 3 axes :

  1. Le 1er, sur toute la 1ère strophe, montrera la visée du poème, tout à la fois lyrique et argumentative, littérale et symbolique.

  2. Le 2ème, sur les 3 strophes suivantes évoquera la dimension tragique de l’araignée et de l’ortie.

  3. Le 3ème axe, enfin, sur les dernières strophes restantes, montrera la dimension pathétique de l’araignée et de l’ortie… sans doute pour mieux nous aider à rentrer en empathie avec les nombreux marginaux que Hugo, en tant qu’artiste et aussi en tant que citoyen, tentait par tous les moyens de défendre et réhabiliter.

EXPLICATION LINÉAIRE

Dès le premier vers, l’impression qui se dégage du texte est le fait que le poète semble vouloir montrer la visée du poème, tout à la fois lyrique et argumentative, littérale et symbolique. 

 

Qu’est-ce qui me permet de dire cela ?

 

Je repère immédiatement une double répétition de « J’aime » faisant un parallélisme entre deux choses a priori sans rapport aucun : l’araignée et l’ortie. 

 

Je peux effectivement lire « J’aime l’araignée » (avec un pronom personnel + verbe + groupe nominal) « et j’aime l’ortie » (avec un pronom personnel + verbe + groupe nominal).

 

Que mettent en lumière de tels procédés ?


A mon avis, les raisons de cet amour sont explicitées dans les vers qui suivent avec l’apparition d’une proposition subordonnée circonstancielle de cause introduite par la conjonction de subordination « parce que », mettant en lien deux propositions nourrissant une réflexion complexe et a priori contre-intuitive : le poète aimerait l’araignée et l’ortie suite à la haine qu’elles suscitent.

Et pour donner du corps et de la profondeur à ce propos, le poète enchaine avec une conjonction de coordination reliant une deuxième cause (« Et que... »), amorçant ainsi un autre parallélisme de construction (« ... rien n’exauce et que tout châtie »).

Là encore, nous comprenons assez vite que ces procédés ne sont pas simplement décoratifs mais mettent en évidence des antithèsesrien » et « tout », « exauce » et « châtie »). Des antithèses qui renforcent selon moi la triste condition de ces deux « êtres », rendus vivants et encore plus concrets par la personnification « morne souhait » (une araignée ou une ortie, peut-elle souhaiter quelque chose ?) Cette expression, du reste, révèle également un oxymore (un souhait, a priori, ne saurait être morne). Pourquoi un tel effet ? Probablement pour secouer le cœur et l’esprit du lecteur qui comprend d’ores et déjà que le poème n’est pas uniquement lyrique grâce aux procédés évoqués (le parallélisme du 1er vers, par exemple montre clairement l’aspect symétrique, régulier et rythmique du poème « (J’ai/me/l’ar/ai/gnée » : 5 syllabes // « et/j’ai/me/l’or/tie » 5 syllabes). Ce poème est probablement aussi engagé : par l’allégorie de l’araignée… le poète fabrique des images et symbolise tous les démunis et autres laissés pour compte que nous mettons de côté sous prétexte qu’ils nous font peur…

 

J'aime l'araignée

J'aime l'araignée et j'aime l'ortie,
Parce qu'on les hait ;
Et que rien n'exauce et que tout châtie
Leur morne souhait ;

Dans le 2ème axe, l’impression qui domine est le registre tragique dans lequel Hugo semble vouloir inscrire ce poème engagé, comme pour mieux permettre à l’araignée et l’ortie de susciter terreur et pitié.

L’engagement se perçoit selon moi dans les nombreuses énumérations/anaphores en « parce que » qui ont pour vocation d’expliquer, d’argumenter les raisons pour lesquelles ces pauvres êtres sont tragiquement méprisés et rejetés. On pourrait même presque voir dans ces répétions comme une volonté de marteler et rappeler, par l’empilage des arguments, que cette malédiction relève de l’injustice et doit – ou devrait – être réparée au plus tôt.

Pour ce qui relève de la dimension tragique, nous pouvons repérer tout un champ lexical (ex). Ce champ lexical, en plus de nous inviter à la compassion, fait véritablement de ces êtres des victimes que le Destin a injustement mis au ban de la société.

 

Parce qu'elles sont maudites, chétives,
Noirs êtres rampants ;
Parce qu'elles sont les tristes captives
De leur guet-apens ;

Parce qu'elles sont prises dans leur œuvre ;
Ô sort ! fatals nœuds !
Parce que l'ortie est une couleuvre,
L'araignée un gueux;

Parce qu'elles ont l'ombre des abîmes,
Parce qu'on les fuit,
Parce qu'elles sont toutes deux victimes
De la sombre nuit...

 

Dans la 3ème strophe, le registre tragique trouve un écho particulier dans le mot « œuvre » qui permet d’établir un parallélisme entre l’araignée et l’ortie et la figure de l'artiste. N’oublions pas, effectivement, que dans le poème « Quelques mots à un autre », lui aussi issu des Contemplations, Victor Hugo se présentait déjà lui aussi comme un individu méprisé et rejeté (« je suis le ténébreux par qui tout dégénère. / Sur mon autre côté lancez l'autre tonnerre. »). Autrement dit, l’araignée et l’ortie, c’est également, à plusieurs égards, la figure et l’allégorie du romantique, rejeté et incompris, coupable de pointer du doigt ce que le commun des mortels préfère ne pas voir et mettre de côté).

 

De façon très rythmée, dans la 3ème et 4ème strophe, le poème joue sur les assonances en « on » (« ont » « l’ombre », « on », « sont », « sombre ») mais aussi en « en/ou/ein » qui rendent plus évidente la dimension sonore – et donc lyrique – du poème… tout en éclairant ces mots faisant partie de ce champ lexical de la tragédie).

Dans le dernier axe… après le registre tragique, il me semble que le poète use du registre pathétique pour mieux nous permettre de rentrer en compassion avec ces victimes que sont l’araignée et l’ortie.

La 5ème strophe interpelle effectivement le lecteur (« passants ») pour mieux l’inviter par une série d’impératif (« faites » et trois fois « plaignez ») à réagir et à mobiliser son cœur, depuis trop longtemps endurci. Tous les procédés qui vont suivre, selon moi, explicitent ce propos : Nous retrouvons des périphrases « la plante obscure et le « pauvre animal »), une anaphore « Plaignez la laideur, plaignez la piqûre, / Oh ! plaignez le mal ! ») le présent de vérité généraleIl n’est rien qui n’ait... », « Tout veut... »), la double négation (« Il n'est rien qui n'ait »), le champ lexical de la noirceur ou de l’horrible (avec « noirs », « ombre », « nuit », « obscure » et « mélancolie », « Dans leur fauve horreur », « La vilaine bête et la mauvaise herbe »)… sans oublier la personnification, (« Murmurent amour ») . Cette dernière, d’après moi, humanise enfin un être que l’on a trop eu tendance à rejeter au rang de vulgaires objets. Et c’est sans doute là l’une des visées de ce texte, tout à la fois didactique dans sa volonté d’expliquer et polémiste dans sa propension à lutter… contre nos premières intuitions !

 

Passants, faites grâce à la plante obscure,

Au pauvre animal.

Plaignez la laideur, plaignez la piqûre,

Oh ! plaignez le mal !

 

Il n'est rien qui n'ait sa mélancolie ;

Tout veut un baiser.

Dans leur fauve horreur, pour peu qu'on oublie

De les écraser,

 

Pour peu qu'on leur jette un œil moins superbe,

Tout bas, loin du jour,

La vilaine bête et la mauvaise herbe

Murmurent : Amour !

CONCLUSION

Pour conclure, nous avons donc vu que ce poème, par des images fortes et suggestives (l’araignée et l’ortie), invite le lecteur à compatir et à mieux aimer ceux que la société critique et marginalise. Figure familière des marginaux et autres laissés pour compte (on pense à Quasimodo dans Notre-Dame de Paris ou encore à Fantine dans Les Misérables), Hugo se sert ici du genre poétique pour encore mieux nous émouvoir, notamment par le biais de plusieurs registres (lyrique, tragique mais aussi pathétique) pour mieux chambouler le cœur et l’esprit de chaque lecteur. J’aime l’araignée pourrait encore mieux s’appréhender en pensant aux représentations de Jean-Jacques Vigoureux, artiste français pratiquant cet art délicat de la peinture sur toile d’araignée…

  

En faisant de l’art, du beau avec un matériau qui fait peur – et que l’on considère peut-être un peu trop hâtivement comme horrible ou répugnant - Jean-Jacques Vigoureux transcende l’objet poétique en nous invitant à revoir ce qui est beau ou pas, digne et indigne, noble ou pas. On est, dans cette dynamique, proche d’une vision qu’avait Baudelaire de la poésie, en transmutant en or ce que le commun des mortels voyait comme de la boue avec des poèmes comme « Les petites vieilles » ou bien encore « l’Albatros » dans les Fleurs du Mal.

 

On peut dès lors se demander si la poésie, grâce à ce poème rendant touchant un être que beaucoup de personnes trouvent répugnant, peut alors tout transmuter et changer en or ce qu’elle regarde. Est-ce que tout, y compris l’infâme et l’innommable, doit se frotter à l’objet poétique ?

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