Olivier Cochet, coach scolaire et thérapeute,
Hypnose, PNL, rêves, art-thérapie,eft...
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Explication linéaire : scène de la prison/ La chartreuse de Parme (Stendhal)
Explication linéaire...
Ci dessous, tu trouveras une explication linéaire du texte en question. Il existe une vidéo (en cliquant ici ou en dessous) où ce même texte est également expliqué... avec en plus quelques outils de méthodes et de compréhension...
LE TEXTE
Clélia, en ce moment, était animée d’une force surnaturelle, elle était hors d’elle-même. Je vais sauver mon mari, se disait-elle. Pendant que le vieux guichetier s’écriait : Mais mon devoir ne me permet pas… Clélia montait rapidement les six marches ; elle se précipita contre la porte : une clef énorme était dans la serrure ; elle eut besoin de toutes ses forces pour la faire tourner. À ce moment, le vieux guichetier à demi ivre saisissait le bas de sa robe ; elle entra vivement dans la chambre, referma la porte en déchirant sa robe, et, comme le guichetier la poussait pour entrer après elle, elle la ferma avec un verrou qui se trouvait sous sa main. Elle regarda dans la chambre et vit Fabrice assis devant une fort petite table où était son dîner. Elle se précipita sur la table, la renversa, et, saisissant le bras de Fabrice, lui dit :
— As-tu mangé ?
Ce tutoiement ravit Fabrice. Dans son trouble, Clélia oubliait pour la première fois la retenue féminine, et laissait voir son amour.
Fabrice allait commencer ce fatal repas : il la prit dans ses bras et la couvrit de baisers. Ce dîner était empoisonné, pensa-t-il ; si je lui dis que je n’y ai pas touché, la religion reprend ses droits et Clélia s’enfuit. Si elle me regarde au contraire comme un mourant, j’obtiendrai d’elle qu’elle ne me quitte point. Elle désire trouver un moyen de rompre son exécrable mariage, le hasard nous le présente ; les geôliers vont s’assembler, ils enfonceront la porte, et voici une esclandre telle que peut-être le marquis Crescenzi en sera effrayé, et le mariage rompu.
Pendant l’instant de silence occupé par ces réflexions, Fabrice sentit que déjà Clélia cherchait à se dégager de ses embrassements.
— Je ne sens point encore de douleurs, lui dit-il, mais bientôt elles me renverseront à tes pieds ; aide-moi à mourir.
— Ô mon unique ami ! lui dit-elle, je mourrai avec toi. Elle le serrait dans ses bras, comme par un mouvement convulsif.
Elle était si belle, à demi vêtue et dans cet état d’extrême passion, que Fabrice ne put résister à un mouvement presque involontaire.
Aucune résistance ne fut opposée.
Dans l’enthousiasme de passion et de générosité qui suit un bonheur extrême, il lui dit étourdiment :
— Il ne faut pas qu’un indigne mensonge vienne souiller les premiers instants de notre bonheur : sans ton courage je ne serais plus qu’un cadavre, ou je me débattrais contre d’atroces douleurs ; mais j’allais commencer à dîner lorsque tu es entrée, et je n’ai point touché à ces plats.
Fabrice s’étendait sur ces images atroces pour conjurer l’indignation qu’il lisait déjà dans les yeux de Clélia. Elle le regarda quelques instants, combattue par deux sentiments violents et opposés, puis elle se jeta dans ses bras
INTRODUCTION
« Fabrice ne put résister à un mouvement presque involontaire. Aucune résistance ne fut opposée. »
C’est en ces termes - tout en sous-entendus - que le narrateur évoque un des points culminants de la relation de ces deux personnages, eux-mêmes inscrits dans une histoire encore plus vaste avec de nombreuses autres péripéties. La Chartreuse de Parme roman publié par Stendhal en 1841 est une œuvre majeure, qui lui valut la célébrité. Elle y narre, entre autres l’histoire de Fabrice, emprisonné dans une forteresse, au sommet de la tour Farnèse. Bien que menacé de mort, il tire de son emprisonnement une douceur particulière en tombant amoureux de Clélia Conti, fille du gouverneur de la prison. Cette dernière, croyant que son amoureux finira par manger un repas empoisonné, se rue dans le cachot où est emprisonné Fabrice pour le sauver. Notre héros, lui, comprenant l’angoisse de l’héroïne, tentera de tirer parti de sa peur pour mieux obtenir ses faveurs afin qu’elle s’offre à lui… parviendra-t-il à maintenir le mensonge pour mieux consommer sa relation ?
Pour une meilleure lisibilité, nous pourrons découper le texte en 3 axes, le 1er allant de « Clélia, en ce moment, était animée d’une force surnaturelle, » jusqu’à « saisissant le bras de Fabrice, lui dit : » — As-tu mangé ? ». Le 2ème axe ira, lui, de « Ce tutoiement ravit Fabrice. » jusqu’à « Aucune résistance ne fut opposée. » Le 3ème et dernier axe, enfin, ira de « Dans l’enthousiasme de passion et de générosité qui suit un bonheur extrême » jusqu’à la fin de l’extrait « Elle se jeta dans ses bras ».
EXPLICATION LINÉAIRE
Dès les premières lignes, l’impression qui semble se dégager du texte est la force de la passion animant le personnage de Clélia.
Cette force, je peux la voir par de nombreux procédés, comme les hyperboles, les adverbes intensifs et les énumérations de passé simples montrant des actions brusques, vives et soudaines…
Je peux voir les hyperboles dans les termes suivants (ex), les adverbes intensifs à travers les mots (ex) et l’énumérations de passé simple avec (ex).
Clélia, en ce moment, était animée d’une force surnaturelle, elle était hors d’elle-même. Je vais sauver mon mari, se disait-elle. Pendant que le vieux guichetier s’écriait : Mais mon devoir ne me permet pas… Clélia montait rapidement les six marches ; elle se précipita contre la porte : une clef énorme était dans la serrure ; elle eut besoin de toutes ses forces pour la faire tourner. À ce moment, le vieux guichetier à demi ivre saisissait le bas de sa robe ; elle entra vivement dans la chambre, referma la porte en déchirant sa robe, et, comme le guichetier la poussait pour entrer après elle, elle la ferma avec un verrou qui se trouvait sous sa main. Elle regarda dans la chambre et vit Fabrice assis devant une fort petite table où était son dîner. Elle se précipita sur la table, la renversa, et, saisissant le bras de Fabrice, lui dit :
— As-tu mangé ?
Tous ces outils, d’après moi, montrent le sentiment presque démesuré qui est en train de « posséder » Clélia. Alors… est-ce pour mieux la dépeindre dans les caractéristiques d’une vraie héroïne romantique, n’écoutant que son cœur et sa passion… ou bien est-ce, au contraire, pour déjà commencer à se moquer d’elle dans tout ce que ce comportement a de subi et pulsionnel ? C’est ce que nous allons voir dans le 2ème axe qui suit…
Dans le 2ème axe, le ressenti qui domine est cette impression identique qu’inspire Fabrice, le personnage masculin, entre passion romantique excessive et ce « je-ne-sais-quoi » permettant déjà de le juger.
Sur quels critères puis-je affirmer cela ?
La focalisation omnisciente choisie par le narrateur permet de comprendre les pensées de Fabrice… ainsi que ses motivations (il est écrit « pensa-t-il »). Ces motivations, on le constatera, sont loin d’être pures et innocentes…
Tandis que Clélia, comme une longue gradation, semble de plus en plus offerte à l’homme qu’elle aime…
…Fabrice, lui, parait de plus en plus dans le contrôle et un certain calcul.
Concernant Clélia, on peut deviner son abandon dans les termes suivants : « en déchirant sa robe » que l’on vient de lire, puis en oubliant « pour la première fois la retenue féminine, et laissait voir son amour. », puis, enfin, dans les termes des dernières lignes « Elle était si belle, à demi vêtue ») …
Concernant Fabrice… on voit de manière assez nette son double visage selon les pensées qu’il cache – mais que connait le lecteur – et les paroles qu’il prononce, fortement aidé par Clélia. (ex)
De ce constat, ne pourrait-on ainsi pas voir une antithèse entre ses pensées, froides, méthodiques et claires, montrant le mensonge qu’il souhaite mettre en place et ses paroles, tout en excès et hyperboles (ex) ?
Ce tutoiement ravit Fabrice. Dans son trouble, Clélia oubliait pour la première fois la retenue féminine, et laissait voir son amour.
Fabrice allait commencer ce fatal repas : il la prit dans ses bras et la couvrit de baisers. Ce dîner était empoisonné, pensa-t-il ; si je lui dis que je n’y ai pas touché, la religion reprend ses droits et Clélia s’enfuit. Si elle me regarde au contraire comme un mourant, j’obtiendrai d’elle qu’elle ne me quitte point. Elle désire trouver un moyen de rompre son exécrable mariage, le hasard nous le présente ; les geôliers vont s’assembler, ils enfonceront la porte, et voici une esclandre telle que peut-être le marquis Crescenzi en sera effrayé, et le mariage rompu.
Pendant l’instant de silence occupé par ces réflexions, Fabrice sentit que déjà Clélia cherchait à se dégager de ses embrassements.
— Je ne sens point encore de douleurs, lui dit-il, mais bientôt elles me renverseront à tes pieds ; aide-moi à mourir.
— Ô mon unique ami ! lui dit-elle, je mourrai avec toi. Elle le serrait dans ses bras, comme par un mouvement convulsif.
Elle était si belle, à demi vêtue et dans cet état d’extrême passion, que Fabrice ne put résister à un mouvement presque involontaire.
Aucune résistance ne fut opposée.
Ces facettes multiples participent certainement, selon moi, à l’ambiguïté du moment que nous allons voir, probablement le plus fort de leur union… Un moment fort mais où l’implicite est tellement présent qu’il est impossible de savoir clairement, en tant que lecteur, ce qu’ils sont en réellement en train de faire…
Pourquoi une telle affirmation ?
La double litote, dans un 1er temps, en passant par la négation, n’explique pas clairement la teneur de leur étreinte.
Lorsqu’il est écrit :« Fabrice ne put résister » : à quoi, très exactement ne résiste-t-il pas ? A son envie de l’embrasser ? Son envie de l’étreindre ? Son envie de consommer charnellement jusqu’au bout sa relation ?
Lorsqu’il est écrit : « Aucune résistance ne fut opposée. » : ne pas s’opposer, qu’est-ce que cela veut dire ? Est-ce que ça veut dire « accepter complètement et inconditionnellement les désirs de son partenaire » ? « Autoriser et s’autoriser quelques débordements comme quelques baisers volés et autres furtives caresses… ? Ou bien se laisser faire et mollement acquiescer aux volontés de l’autre ?
L’oxymore dans l’expression « un mouvement presque involontaire » ne fera que confirmer l’ambigüité de cette scène. Pourquoi un oxymore ?
S un mouvement est involontaire, subi, inconscient… il ne peut pas être « presque involontaire », qui induirait l’idée que l’on peut inconsciemment se contrôler.
Pourquoi une telle confusion ?
J’y vois pour ma part une élégance stendhalienne proposant à chaque lecteur la possibilité de lire une scène très forte selon ce qu’il veut bien voir, par rapport à ses attentes, ses valeurs ou ses convictions…
Dans le 3ème axe, cette dualité évoquée ne fait selon moi que se renforcer. Je le vois dans des antithèses comme « qui suit un bonheur extrême, », induisant l’excès et l’intensité… et l’adverbe « étourdiment », montrant, lui, plutôt une retenue, voire une certaine nonchalance dans ce qui est en train de se passer.
Dans l’enthousiasme de passion et de générosité qui suit un bonheur extrême, il lui dit étourdiment :
— Il ne faut pas qu’un indigne mensonge vienne souiller les premiers instants de notre bonheur : sans ton courage je ne serais plus qu’un cadavre, ou je me débattrais contre d’atroces douleurs ; mais j’allais commencer à dîner lorsque tu es entrée, et je n’ai point touché à ces plats.
Fabrice s’étendait sur ces images atroces pour conjurer l’indignation qu’il lisait déjà dans les yeux de Clélia. Elle le regarda quelques instants, combattue par deux sentiments violents et opposés, puis elle se jeta dans ses bras.
Cette nonchalance peut se comprendre par le fait que Julien puisse enfin montrer son vrai visage, maintenant qu’il a eu ce qu’il désirait…
On n’en comprend néanmoins que mieux les « images atroces », toutes hyperboliques qu’il utilise pour garder Célia dans une certaine tension, la seule à même de faire oublier l’odieux mensonge qu’il a dû déployer pour parvenir à ses fins… (ex).
De là, on se demande tous ce que pourrait être la réaction de Clélia… qui aurait tout à fait le droit d’être offusquée de s’être ainsi fait berner…
Rien de tout cela dans sa réaction. Si l’héroïne montre elle aussi une certaine dualité, notamment visible dans l’expression « deux sentiments violents et opposés », on s’aperçoit vite que le plaisir d’avoir vécu ce moment avec lui est bien plus fort que le principe de vérité.
C’est la toute la richesse de ce narrateur dont on ne sait que trop s’il pointe la superficialité de ses personnages ou bien s’il ne fait que montrer, tout simplement, la maladresse de deux jeunes gens en proie à la passion.
CONCLUSION
Pour conclure, nous pouvons donc dire que cet extrait tire sa singularité dans le mélange des mouvements littéraires (on y voit en apparence la passion et l’idéal amoureux prôné par les Romantiques tout en observant avec réalisme le mensonge et les desseins les moins avouables de l’âme humaine… le tout dans une situation très incongrue : une supposée scène d’amour dans une prison !) Le mélange, nous l’avons vu, n’est pas que dans les mouvements mais aussi dans ce que nous inspire les personnages. Un brassage multiple donc, offrant aux lecteurs – par la présence d’un narrateur - une histoire riche et originale ouvertes à toutes les interprétations… d’où la question, en creux, que l’on pourrait se poser pour faire honneur à ce passage et à tout le roman en général :
Si le narrateur, dans cet extrait, nous laisse absolument tout supposer quant à la bêtise, supposée ou réelle, de ces deux personnages, s’il nous laisse suggérer tout un champ des possibles quant à la relation qu’ont exactement entretenue Fabrice et Clélia dans ce cachot, ne peut-on dès lors pas imaginer qu’il y a autant de Fabrice/Clélia qu’il y a de lecteurs, tous à la joie de réaliser leur propre histoire au sein même d’une histoire qui a pourtant été déjà rédigée par ce narrateur ?
… d’où la question, en creux, que l’on pourrait se poser pour faire honneur à ce passage et à tout le roman en général. Si la préface nous met en garde (« Pour prévenir contre le vice, il faut bien le peindre »,), nous pouvons lui répondre ce qu’en disait le poète Baudelaire : « il faut peindre le vice ; mais doit‑on le peindre si séduisant ? »
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