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Explication linéaire : Après la mort du prince / La princesse de Clèves (Mme de La Fayette)

Explication linéaire...

Ci dessous, tu trouveras une explication linéaire du texte en question. Il existe une vidéo (en cliquant ici ou en dessous) où ce même texte est également expliqué... avec en plus quelques outils de méthodes et de compréhension...

LE TEXTE

– Hé ! croyez-vous le pouvoir, madame ? s’écria M. de Nemours. Pensez-vous que vos résolutions tiennent contre un homme qui vous adore et qui est assez heureux pour vous plaire ? Il est plus difficile que vous ne pensez, madame, de résister à ce qui nous plaît et à ce qui nous aime. Vous l’avez fait par une vertu austère, qui n’a presque point d’exemple ; mais cette vertu ne s’oppose plus à vos sentiments et j’espère que vous les suivrez malgré vous.

 

– Je sais bien qu’il n’y a rien de plus difficile que ce que j’entreprends, répliqua Mme de Clèves ; je me défie de mes forces au milieu de mes raisons. Ce que je crois devoir à la mémoire de M. de Clèves serait faible s’il n’était soutenu par l’intérêt de mon repos ; et les raisons de mon repos ont besoin d’être soutenues de celles de mon devoir. Mais, quoique je me défie de moi-même, je crois que je ne vaincrai jamais mes scrupules et je n’espère pas aussi de surmonter l’inclination que j’ai pour vous. Elle me rendra malheureuse et je me priverai de votre vue, quelque violence qu’il m’en coûte. Je vous conjure, par tout le pouvoir que j’ai sur vous, de ne chercher aucune occasion de me voir. Je suis dans un état qui me fait des crimes de tout ce qui pourrait être permis dans un autre temps, et la seule bienséance interdit tout commerce entre nous.

 

M. de Nemours se jeta à ses pieds, et s’abandonna à tous les divers mouvements dont il était agité. Il lui fit voir, et par ses paroles, et par ses pleurs, la plus vive et la plus tendre passion dont un cœur n’ait jamais été touché. Celui de Mme de Clèves n’était pas insensible et, regardant ce prince avec des yeux un peu grossis par les larmes :

 

– Pourquoi faut-il, s’écria-t-elle, que je vous puisse accuser de la mort de M. de Clèves ? Que n’ai-je commencé à vous connaître depuis que je suis libre, ou pourquoi ne vous ai-je pas connu devant que d’être engagée ? Pourquoi la destinée nous sépare-t-elle par un obstacle si invincible ?

 La Princesse de Clèves, Madame de La Fayette, 1678.

INTRODUCTION

« Je me défie de mes forces au milieu de mes raisons » 

C’est par ces termes, tout en antithèse, que la princesse avoue la fin de sa relation avec le duc de Nemours… une fin d’autant plus cruelle que leur histoire semblait enfin pouvoir se concrétiser par la mort du mari de l’héroïne, mettant ainsi un terme aux peurs liées à de futures éventuelles infidélités. C’est pourtant bel et bien par une fin de non-recevoir que se conclut ce passage arrivant juste après la mort de monsieur de Clèves.

D’abord publié anonymement en 1678, en pleine période classique, l'action du roman La princesse de Clèves, écrit par Mme de La Fayette, se situe à la cour des Valois « dans les dernières années du règne de Henri Second », avec sa cour, ses manigances et ses intrigues amoureuses… dont celle précisément du duc et de la princesse dont l’histoire semble prendre fin après les aveux de l’héroïne. Cette dernière, pourtant mariée à un homme qu’elle n’aimait pas, dit maintenant « non » devant l’homme qu’elle n’a cessé d’aimer en secret durant tout le roman et qui l’aime aussi en retour. Pourquoi une telle réaction ? Est-ce une volonté de rester fidèle à la mémoire d’un homme, portée et grisée par la morale classique et judéo-chrétienne, toujours désireuse d’aller au-delà de l’ego, des pulsions et des plaisirs sans lendemain ? Ou bien est-ce tout simplement une peur s’abritant derrière de beaux idéaux pour ne pas avoir à vivre les angoisses inhérentes à une grande histoire d’amour ? C’est là une des nombreuses réflexions de ce texte – et de ce roman en général – où l’intensité des sentiments cohabite sans cesse avec la rigueur de la morale.

Pour une meilleure lisibilité, nous pourrons découper le texte en 4 axes, chacun se pensant par paragraphe. Le 1er allant de « Hé ! Croyez-vous le pouvoir, Madame ?». Le 2ème ira de « Je sais bien qu’il n’y a rien de plus difficile » jusqu’à « interdit tout commerce avec nous ». Le 3ème ira pour sa part de « M. de Nemours se jeta à ses pieds » jusqu’à « un peu grossis par les larmes ». Le 4ème, enfin, ira de « Pourquoi faut-il, s’écria-t-elle » jusqu’à « obstacle si invincible ? ».

EXPLICATION LINEAIRE

Dès les premières lignes, l’impression qui semble se dégager du texte est toute la force de persuasion que déploie Nemours pour inciter la princesse de Clèves à réviser son jugement 

Qu’est-ce qui me permet de le dire ?

Et bien… je peux repérer tout un champ lexical des émotions utilisé par le duc. 

Ce champ lexical est notamment repérable dans les termes comme :

Hé ! croyez-vous le pouvoir, madame ? s’écria M. de Nemours. Pensez-vous que vos résolutions tiennent contre un homme qui vous adore et qui est assez heureux pour vous plaire ? Il est plus difficile que vous ne pensez, madame, de résister à ce qui nous plaît et à ce qui nous aime. Vous l’avez fait par une vertu austère, qui n’a presque point d’exemple ; mais cette vertu ne s’oppose plus à vos sentiments et j’espère que vous les suivrez malgré vous.

 

Cette force de persuasion se densifie d’ailleurs selon moi par les tournures de phrases de Nemours, utilisant les phrases exclamatives (pour montrer des sentiments vifs et forts) et interrogatives (pour tenter de faire douter/vaciller celle qu’il aime. (ex)

Cette force de persuasion, selon moi, permet d’encore mieux mettre en lumière tout ce qui sépare le duc de la princesse, toujours caractérisée, elle, par un autre champ lexical, diamétralement opposé et antithétique : celui de la raison, visible dans les termes comme (ex)

Cette antithèse est d’autant plus intéressante qu’elle peut d’emblée mettre en lumière un combat cher au classicisme : la lutte perpétuelle entre raison et passion. 

Dans le 2ème axe, l’impression qui domine est justement ce fossé grandissant entre le duc et la princesse, cette dernière se caractérisant de plus en plus avec champ lexical de la raison :

"– Je sais bien qu’il n’y a rien de plus difficile que ce que j’entreprends, répliqua Mme de Clèves ; je me défie de mes forces au milieu de mes raisons. Ce que je crois devoir à la mémoire de M. de Clèves serait faible s’il n’était soutenu par l’intérêt de mon repos ; et les raisons de mon repos ont besoin d’être soutenues de celles de mon devoir. Mais, quoique je me défie de moi-même, je crois que je ne vaincrai jamais mes scrupules et je n’espère pas aussi de surmonter l’inclination que j’ai pour vous. Elle me rendra malheureuse et je me priverai de votre vue, quelque violence qu’il m’en coûte. Je vous conjure, par tout le pouvoir que j’ai sur vous, de ne chercher aucune occasion de me voir. Je suis dans un état qui me fait des crimes de tout ce qui pourrait être permis dans un autre temps, et la seule bienséance interdit tout commerce entre nous."

 

Ce champ lexical de la raison est d’autant plus fort qu’il me semble intensifié, hyperbolisé par un autre champ lexical : celui de la violence et du sentiment de résistance propre au sentiment amoureux.

Ce type de langage met en évidence selon moi un certain registre épique, cher au classicisme, montrant tout l’héroïsme de la princesse, allégorie d’une certaine sagesse par rapport aux forces destructrices de la passion.

Dans le 3ème axe, on voit bien que Monsieur de Nemours tente le tout pour le tout pour faire en sorte que la princesse ne s’emmure pas définitivement dans sa décision. Nous pouvons le pouvoir par les passés simples montrant des actions brusques et rapides, pouvant potentiellement ébranler ou surprendre la princesse (ex), nous le voyons aussi par l’énumération (ex) insistant sur le désarroi grandissant de Nemours… et nous pouvons également le voir par les superlatifs et autres hyperboles (ex).

M. de Nemours se jeta à ses pieds, et s’abandonna à tous les divers mouvements dont il était agité. Il lui fit voir, et par ses paroles, et par ses pleurs, la plus vive et la plus tendre passion dont un cœur n’ait jamais été touché. Celui de Mme de Clèves n’était pas insensible et, regardant ce prince avec des yeux un peu grossis par les larmes :

 

Cet état de profonde tristesse de Nemours tranche d’autant plus avec la princesse qui, elle, est plutôt caractérisée par des figures de style évoquant la retenue ou l’atténuation, je le vois notamment par la litote (ex) et l’euphémisme (ex).

 

Cette différence de traitement montre d’après moi un fossé qui va sans cesse grandissant entre les deux personnages et laisse supposer que cet entretien sera sans issue. En tout état de cause, la princesse, plutôt que de vivre une belle histoire avec Nemours, préfère vivre seule, chevillée à sa morale et à sa raison.

 

Dans le 4ème et dernier axe, nous voyons toute la détresse de la princesse. Une détresse qui semble ici à son apogée. Je le vois avec l’énumération de phrases interrogatives et l’anaphore avec la répétition du mot « pourquoi », qui insistent selon moi sur l’incompréhension et la douleur de l’héroïne. Je peux aussi constater la présence de mots relevant du registre tragique avec les termes suivants (ex).

Pourquoi faut-il, s’écria-t-elle, que je vous puisse accuser de la mort de M. de Clèves ? Que n’ai-je commencé à vous connaître depuis que je suis libre, ou pourquoi ne vous ai-je pas connu devant que d’être engagée ? Pourquoi la destinée nous sépare-t-elle par un obstacle si invincible ?

 

Cette impossibilité à vivre pleinement son histoire d’amour fait de la princesse un individu résolument spécial…

Héroïne épique pour certains face à son courage et à sa volonté de ne pas réduire l’amour à une pulsion… ou bien personnage pathétique, emmuré dans la peur pour d’autres, se cachant derrière de prétextes pour ne pas avoir à vivre une belle et grande histoire d’amour…

CONCLUSION

Pour conclure, nous pouvons donc dire que cet extrait évoque des thèmes chers au classicisme et à Mme de La Fayette, comme la passion cohabitant avec la raison… sans oublier la radicalité, voire l’intransigeance de cette princesse dans sa soif de vérité et d’authenticité… sans arrêt assiégée par cet amour interdit.

Si cette tension est également parfaitement montrée dans le film de Christophe Honoré "la Belle personne" montrant Junie – le nom de l’héroïne dans le long métrage – comme une incarnation tout à fait moderne et contemporaine dans notre rapport à l’amour et à la peur de l’engagement, on peut néanmoins se demander si cette peur est sublime ou bien purement pathétique.

… d’où la question, en creux, que l’on pourrait se poser pour faire honneur à ce passage et à tout le roman en général :

Si la princesse incarne une forme d’intransigeance en mettant l’amour à un stade tellement haut qu’elle préfère ne pas le salir de ses pulsions, souillé par le quotidien et le réel, on peut néanmoins se demander si la noblesse de ce sentiment ne cache pas une peur d’aimer, une peur d’aimer plutôt pathétique cachée derrière de faux prétextes, pour ne pas vivre une belle histoire.

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