Olivier Cochet, coach scolaire et thérapeute,
Hypnose, PNL, rêves, art-thérapie,eft...
Acerca de
Explication linéaire de la scène du pavillon de La princesse de Clèves (Mme de La Fayette)
Explication linéaire...
Ci dessous, tu trouveras une explication linéaire du texte en question. Il existe une vidéo (en cliquant ici ou en dessous) où ce même texte est également expliqué... avec en plus quelques outils de méthodes et de compréhension...
LE TEXTE
"Les palissades étaient fort hautes, et il y en avait encore derrière, pour empêcher qu'on ne pût entrer ; en sorte qu'il était assez difficile de se faire passage. Monsieur de Nemours en vint à bout néanmoins ; sitôt qu'il fut dans ce jardin, il n'eut pas de peine à démêler où était Madame de Clèves. Il vit beaucoup de lumières dans le cabinet, toutes les fenêtres en étaient ouvertes ; et, en se glissant le long des palissades, il s'en approcha avec un trouble et une émotion qu'il est aisé de se représenter. Il se rangea derrière une des fenêtres, qui servait de porte, pour voir ce que faisait Madame de Clèves. Il vit qu'elle était seule ; mais il la vit d'une si admirable beauté, qu'à peine fut-il maître du transport que lui donna cette vue. Il faisait chaud, et elle n'avait rien sur sa tête et sur sa gorge, que ses cheveux confusément rattachés.
Elle était sur un lit de repos, avec une table devant elle, où il y avait plusieurs corbeilles pleines de rubans ; elle en choisit quelques-uns, et Monsieur de Nemours remarqua que c'étaient des mêmes couleurs qu'il avait portées au tournoi. Il vit qu'elle en faisait des nœuds à une canne des Indes, fort extraordinaire, qu'il avait portée quelque temps, et qu'il avait donnée à sa sœur, à qui madame de Clèves l'avait prise sans faire semblant de la reconnaître pour avoir été à Monsieur de Nemours. Après qu'elle eut achevé son ouvrage avec une grâce et une douceur que répandaient sur son visage les sentiments qu'elle avait dans le cœur, elle prit un flambeau et s'en alla proche d'une grande table, vis-à-vis du tableau du siège de Metz, où était le portrait de Monsieur de Nemours ; elle s'assit, et se mit à regarder ce portrait avec une attention et une rêverie que la passion seule peut donner.
On ne peut exprimer ce que sentit Monsieur de Nemours dans ce moment. Voir au milieu de la nuit, dans le plus beau lieu du monde, une personne qu'il adorait ; la voir sans qu'elle sût qu'il la voyait, et la voir tout occupée de choses qui avaient du rapport à lui et à la passion qu'elle lui cachait, c'est ce qui n'a jamais été goûté ni imaginé par nul autre amant.
La Princesse de Clèves, Madame de La Fayette, 1678.
INTRODUCTION
« Il vit qu'elle était seule ; mais il la vit d'une si admirable beauté, qu'à peine fût-il maître du transport que lui donna cette vue. »
Etrange « transport » de ce duc de Nemours qui, tout en admirant la beauté de l’héroïne, n’en n’accomplit pas moins un acte équivoque en observant à son insu celle-là même qu’il prétend aimer. Le passage que nous étudierons se situe vers la fin du livre et annonce le dénouement. En observant à la dérobée la Princesse de Clèves – et en réalisant surtout qu’il occupe toutes ses pensées - l’extrait montre pour la 1ère fois la réciprocité des sentiments animant les deux personnages. Mais cette réciprocité, loin de montrer une résolution heureuse, porte une ambiguïté lourde de sens : malgré le plaisir de comprendre que son amour est partagé, Nemours a recours à un subterfuge pour le moins étrange… en regardant sans qu’elle le sache l’intimité de la princesse…
D’abord publié anonymement en 1678, en pleine période classique, l'action du roman La princesse de Clèves, écrit par Mme de La Fayette, se situe à la cour des Valois « dans les dernières années du règne de Henri Second », avec sa cour, ses manigances et ses intrigues amoureuses… dont celle précisément du duc et de la princesse. Cette dernière, mariée à un homme qu’elle n’aime pas, est en train de contempler – dans l’extrait qui nous intéresse – le portrait de celui qu’elle aime alors même que celui-ci est précisément aussi en train de l’observer. Ce passage très célèbre, régulièrement nommé « la scène du pavillon », évoque ainsi un parallélisme entre les deux personnages – elle, admirant un portrait de Nemours et lui, en train d’admirer ce portrait de lui qu’elle admire… Et c’est bel et bien là un des nombreux intérêts de ce texte – et de ce roman en général – où le jeu et l’intensité dans les regards cohabite avec la rigueur de la morale et les excès d’une passion déjà bien consommée… une passion qui, d’ailleurs, éclot sous nos yeux de lecteur tout au long du livre… et qui tentera par tous les moyens – en vain – de se cacher, réprimer et canaliser.
Pour une meilleure lisibilité, nous pourrons découper le texte en 4 axes, le 1er allant de « Les palissades étaient fort hautes » à « « où était Madame de Clèves ». Le 2ème allant de « Il vit beaucoup de lumières » jusqu’à « ses cheveux confusément rattachés ». Le 3ème ira pour sa part de « Elle était sur un lit de repos » jusqu’à « une rêverie que la passion seule peut donner ». Le 4ème et dernier axe, enfin, suivra le dernier paragraphe allant de « On ne peut exprimer » jusqu’à « par nul autre amant »
EXPLICATION LINEAIRE
Dès les premières lignes, l’impression qui semble se dégager du texte est l’attitude courageuse et chevaleresque que semble avoir le duc en tentant de franchir l’enclos qui le sépare de sa belle.
Qu’est-ce qui me permet de le dire ? Et bien, je repère dès les 1ères lignes ce qui pourrait s’associer à un registre épique
Je le vois grâce à l’adverbe intensif « fort », montrant la hauteur du mur, à l’adverbe « encore » évoquant la multiplication des obstacles, l’adjectif « difficile » induisant la rudesse de la tâche à accomplir et enfin la forme verbale « en venir à bout », sous-entend l’idée d’efforts à faire pour parvenir à ses fins.
Une longue énumération de mots me semble donc ici suffisamment explicite, dans ce début d’extrait, pour montrer la valeur de Nemours, une valeur comparable, au regard des termes employés, à la littérature courtoise du Moyen-âge où l’on décrivait sans peine des chevaliers prêts à tout pour terrasser le dragon et secourir la belle qu’il fallait sauver.
Ce parallélisme avec ce type de littérature, à laquelle étaient familiers les lecteurs de Mme de La Fayette, place ainsi le personnage masculin à la hauteur d’un grand et bel héros valeureux… sans doute pour mieux nous interroger sur le statut que sera le sien dans les lignes qui suivent… un statut d’autant plus trouble qu’il ne s’agit nullement ici de sauver qui/quoi que ce soit.
Dans le 2ème axe, la démarche de Nemours, effectivement, semble prendre une tournure plutôt étrange, voire ambiguë. Sur quels critères puis-je affirmer cela ?
Le champ lexical de la vue (exemples) parait insister sur la dimension voyeuriste de son action… une action d’autant plus interdite que l’érotisation du passage parait explicitée avec les termes suivants (ex). Ces mots employés donnent ainsi un aspect sulfureux à ce qui est en train de se passer.
On n’en comprendra que mieux le côté dépassé du héros avec précisément un autre champ lexical, celui de la fébrilité, visible dans les termes suivants :
Il vit beaucoup de lumières dans le cabinet, toutes les fenêtres en étaient ouvertes ; et, en se glissant le long des palissades, il s'en approcha avec un trouble et une émotion qu'il est aisé de se représenter. Il se rangea derrière une des fenêtres, qui servait de porte, pour voir ce que faisait Madame de Clèves. Il vit qu'elle était seule ; mais il la vit d'une si admirable beauté, qu'à peine fût-il maître du transport que lui donna cette vue. Il faisait chaud, et elle n'avait rien sur sa tête et sur sa gorge, que ses cheveux confusément rattachés.
Pourquoi de tels effets ? Mon hypothèse est la suivante : en insistant sur la force de cette intensité amoureuse, avec tout ce qu’elle comprend de peur et de joie, d’angoisse et de plaisir, le narrateur nous transmet l’équilibre subtil, déjà évoqué en introduction, de la passion amoureuse :
Cet équilibre est d’autant plus fragile qu’il peut tout aussi bien montrer un acte d’amour, ici à son apogée, dans tout ce qu’il a de chaste et de pur… qu’un acte voyeuriste violant sans vergogne l’intimité d’une jeune femme, inconsciente d’être ainsi observée par celui qu’elle aime.
Pour le 3ème axe, la concrétisation de la réciprocité amoureuse des deux personnages semble alors à son comble. Pourquoi une telle affirmation ? Et bien… nous comprenons implicitement que la princesse, persuadée d’être seule, livre enfin les sentiments qu’elle n’a jamais osé avouer au duc en utilisant des rubans « des mêmes couleurs qu'il avait portées au tournoi », rappelant ainsi un moment important auquel avait participé Nemours. Séparée géographiquement à celui qu’elle aime, elle s’en rapproche ainsi par des rubans. Nous remarquons aussi une autre forme de réciprocité par les objets puisque la canne des indes est un objet volé par la princesse pour se souvenir de Nemours…
Nous remarquons aussi une autre forme de réciprocité par les objets puisque la canne des indes est un objet volé par la princesse pour se souvenir de Nemours… et le portrait fut un tableau qui, lui aussi en son temps, avait été volé par le duc. Impossible, donc, de ne pas voir là un parallélisme explicitant ce qui lie les deux personnages. La force de ces sentiments est d’autant plus forte qu’elle est intensifiée, hyperbolisée par des termes comme :
"Il vit qu'elle en faisait des nœuds à une canne des Indes, fort extraordinaire, qu'il avait portée quelque temps, et qu'il avait donnée à sa sœur, à qui madame de Clèves l'avait prise sans faire semblant de la reconnaître pour avoir été à Monsieur de Nemours. Après qu'elle eut achevé son ouvrage avec une grâce et une douceur que répandaient sur son visage les sentiments qu'elle avait dans le cœur, elle prit un flambeau et s'en alla proche d'une grande table, vis-à-vis du tableau du siège de Metz, où était le portrait de Monsieur de Nemours ; elle s'assit, et se mit à regarder ce portrait avec une attention et une rêverie que la passion seule peut donner."
Dans le 4ème axe, il me semble que l’intensité que nous venons d’évoquer se joint à l’ambiguïté de ce qui est en train de se passer. Pourquoi de tels propos ? Le narrateur utilise une forme impersonnelle (ex) et avoue son impuissance à décrire un ressenti, comme si l’amour était au-delà des mots. Cette intensité est d’ailleurs mise en avant par l’anaphore (ex) et par les hyperboles, tout en superlatif… (ex)
"On ne peut exprimer ce que sentit Monsieur de Nemours dans ce moment. Voir au milieu de la nuit, dans le plus beau lieu du monde, une personne qu'il adorait ; la voir sans qu'elle sût qu'il la voyait, et la voir tout occupée de choses qui avaient du rapport à lui et à la passion qu'elle lui cachait, c'est ce qui n'a jamais été goûté ni imaginé par nul autre amant."
CONCLUSION
Pour conclure, nous pouvons donc dire que cet extrait est un mélange de thèmes chers au classicisme et à Mme de La Fayette… comme la passion cohabitant avec la raison. Nous retrouvons aussi l’intensité dans les regards –ici constamment mis en abyme par ce portrait… contemplé par la princesse… elle-même contemplée par le duc. Ces regards, nous l’avons vu, sont aussi régulièrement interrogés dans leur légitimité et leur rapport à la morale… puisque l’intimité de la princesse est belle et bien ici assiégée par le duc de Nemours dont on ne saurait que trop dire si l’acte voyeuriste qu’il commet est répréhensible ou bien s’il est prétexte à célébrer une sorte d’amour courtois, simple et pure à la fois. Cette réciprocité est également parfaitement montrée dans le film de Christophe Honoré la Belle personne. Mais là où le roman de Madame de La Fayette faisait le choix de montrer cette attirance mutuelle en décrivant le duc de Nemours en train d’espionner la princesse, chez elle, contemplant son portrait. Le film d’Honoré, lui, fait le choix de montrer Junie – le nom de la princesse dans le long-métrage - en train d’avouer à son petit-ami qu’elle souhaitait partir loin de lui pour ne pas avoir à devenir éventuellement infidèle un jour.
… d’où la question, en creux, que l’on pourrait se poser pour faire honneur à ce passage et à tout le roman en général :
: si, comme dans le film ou le livre, les personnages de cette histoire sont à ce point étouffés par la peur de se livrer, nous pouvons dès lors nous demander si cette peur est grandiose (en ne disant rien à la personne qu’on aime, cet amour gardé au fond de soi restera à jamais pur et sublime, fantasmé par les souvenirs) ou bien si cette peur est juste pathétique car elle empêche une éventuelle belle histoire d’amour de voir pleinement le jour dans le monde réel…
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