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Explication linéaire : Le dormeur du val, Cahiers de Douai
(Rimbaud)

Explication linéaire...

Ci dessous, tu trouveras une explication linéaire du texte en question. Il existe une vidéo (en cliquant ici ou en dessous) où ce même texte est également expliqué... avec en plus quelques outils de méthodes et de compréhension...

LE TEXTE

Le dormeur du val

 

C’est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D’argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

Arthur Rimbaud, Cahier de Douai, octobre 1870

 

INTRODUCTION

« Nature,// berce-le// chaudement :// il a froid. »

C’est par ce tétramètre, tout en antithèse, que le poète invoque lui-même la Nature pour réconforter ce soldat dont on ne comprendra véritablement la situation qu’au dernier vers du poème. (Accroche)

Écrit en octobre 1870 dans le recueil posthume « Cahier de Douai », le sonnet « Le dormeur du Val » est un des textes les plus célèbres de Rimbaud. Préfigurant le symbolisme, on peut alors se demander ce que cet illustre texte a de si particulier pour avoir à ce point marqué plusieurs générations de critiques, d’élèves et de lecteurs. S’agit-il de son écriture, entre tradition et modernité ? De l’absence marquée du poète qui dénonce les absurdités d’une guerre en ne montrant jamais clairement ses intentions ? A moins qu’il ne s’agisse du projet poétique de Rimbaud – qui est ici clairement mis en lumière-, toujours désireux de dérégler les sens du lecteur pour mieux le brusquer et l’amener à reconfigurer le monde de façon plus poétique ? (Contextes)

 Pour une meilleure fluidité dans mon explication, je découperai donc ce poème en 3 axes.

 

Le premier axe, pour la 1ère strophe, se nommera : entre tradition et modernité, une nature magnifiée et sublimée par ses éclats et personnifications

Le 2ème axe, pour la 2ème strophe s’intitulera : entre tradition et modernité, une nature sensorielle invitant à une vision synesthète.

Le 3ème et dernier axe, quant à lui, pour les deux dernières strophes se nommera : une nature dissonante et ambigüe… annonçant une tragédie à venir. (Découpage)

EXPLICATION LINÉAIRE

AXE 1

Dans le 1er axe, pour la première strophe, il me semble avoir affaire, entre tradition et modernité, à un début de poème où la nature est magnifiée, voire sublimée par ses éclats et ses nombreuses personnifications. Sur quels critères objectifs puis-je affirmer de tels propos ?

 

C’est un trou de verdure chante une rivière

Accrochant follement //aux herbes des haillons

D’argent ;*** où le soleil, // de la montagne fière,

Luit :*** c’est un petit val //qui mousse de rayons

 

Sur le plan formel, tout me rappelle d’abord l’aspect traditionnel du texte. Je suis effectivement face à un sonnet. Cette première strophe – un quatrain – est composée de vers réguliers et croisés respectant pour la plupart la règle de la césure à l’hémistiche (« Accrochant follement //aux herbes des haillons »). Mais sous cette apparence classique, je constate malgré tout quelques dissonances avec des césures inhabituelles pour le public de l’époque : la césure à l’hémistiche, pour ne reprendre qu’elle, ne fonctionne pas dans le 1er vers et les deux rejets aux vers 3 et 4 insistent sur la prosodie particulière de ce poème, tout à la fois convenue et originale dans sa versification.

Ce mélange antithétique, selon moi, permet au poète de mettre en évidence deux champs lexicaux : celui de la couleur et celui de la nature personnifiée.

Le 1er champ est visible avec les termes « verdure », « d’argent » (mis en avant par le rejet), « Luit » (lui aussi mis en relief par le 2ème rejet ») … ainsi que la proposition subordonnée relative « qui mousse de rayon ». !

Le 2ème champ lexical, quant à lui, est vérifiable par les personnifications suivantes : « où chante une rivière // Accrochant follement », « la montagne fière, » et « qui mousse ».

Pourquoi de tels effets ?

La combinaison de ces deux champs lexicaux, d’après moi, fait de cette nature quelque chose d’aveuglant et d’ensorcelant… Cet ensorcellement, sans nul doute, va nous préparer et nous aider à mieux progressivement accepter le dérèglement sensoriel qui va suivre, opéré par le poète…

Axe 2

Dans le 2ème axe, pour la 2ème strophe, il me semble que le poète, toujours entre tradition et modernité, nous immerge dans une nature sensorielle pour mieux nous aider à « percevoir » ses synesthésies.

Quels sont les éléments tangibles me permettant d’expliciter de telles affirmations ?

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,

Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,

Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue,

Pâle dans son lit vert la lumière pleut.

 

J’ai effectivement la sensation que tout est mis en place pour égarer le lecteur et mieux l’aider à lâcher-prise pour accepter le dérèglement à venir.

  • Sur le plan formel, le lecteur (ou l’auditeur) est toujours face à un texte à mi-chemin entre tradition et modernité. Pour l’aspect traditionnel, nous avons toujours affaire à une (ce qui peut paraître, là encore, très convenu) mais nous constatons aussi que les césures inédites et originales évoquées lors de l’axe 1 sont aussi de plus en plus nombreuse , largement mises en relief par l’enjambement au vers 3.

  • La Nature, évoquée par le poète, touche de plus en plus tous les sens… d’où la forte forte présence d’un champ lexical sensoriel.. D’abord vue et entendue (si l’on en croit le vers 1), cette nature est également appréhendée par le toucher tête nue, », « nuque baignant dans le frais cresson », « étendu dans l’herbe »), et la vue cresson bleu, »).

 

On constatera que cette immersion passe également par la préposition « dans » (vers 6 et 7), comme si le soldat n’était pas devant cette nature… mais bel et bien dedans, piégé à l’intérieur d’un cadre dans lequel il semble de plus en plus se mêler. En ce sens, il est bien aidé par  les assonances en « eu/ou/en »qui aident ici le lecteur à de plus en plus confondre les différentes évocations suggérées par le poète.

  • Face à cette déferlante sensorielle, le lecteur n’en sera que plus surpris en constatant quelques éléments visuels qui paraissent s’inverser (c’est le cresson qui est « vert » et le « lit », ultime métaphore faisant de cette rivière un endroit où se couche le poète, qui est bleu !)

  • Devant de telles inversions et confusions, le lecteur semble donc préparé à la synesthésie du vers 8 : « Pâle dans son lit vert où la lumière pleut. »  Ici, « la lumière » (élément visuel associé au feu) se combine à la « pluie » (élément auditif et inhérent au toucher associé à l’élément « eau »).

 

Que suscitent de tels effets ? Selon moi, ils permettent de dérégler la logique et la mécanique sensorielle de chaque lecteur pour mieux nous préparer à la tragédie à venir…

Axe 3

Dans le 3ème axe, il me semble que nous avons affaire à une nature dissonante et ambigüe… annonçant une tragédie à venir.

Par quels procédés explicités par le poète vais-je pouvoir compter pour construire une telle hypothèse ?

 

Les pieds dans les glaïeuls (1), il dort. Souriant comme

Sourirait un enfant malade, il fait un somme :

Nature,// berce-le// chaudement :// il a froid.

 

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;

Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine

Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

 

A en croire les deux derniers tercets du poème, il me semble que Rimbaud se plait à égarer son lecteur pour mieux le préparer au dernier vers, un dernier vers qui arrive comme un couperet et qui donne (au moins en partie) à ce texte toute sa force et sa singularité. Je vais procéder à présent à une liste chronologique, vers après vers, pour prouver et justifier mes impressions.

  • L’expression « Les pieds dans les glaïeuls » ne peut que surprendre. Pourquoi un soldat foulerait-il aux pieds une plante si grande et si visible ? S’agirait-il de comprendre cette proposition de façon moins littérale et plus symbolique ? Car le glaïeul a effectivement une valeur symbolique très forte, et ce depuis la Rome antique. Son nom provient du latin « gladius », qui signifie glaive. La fleur serait ainsi de la force, de la victoire mais aussi de la mort. Annoncerait-on donc là une tragédie à venir ?

  • Par la suite, impossible de ne pas voir le champ lexical de l'alitement, déjà explicité aux vers 7 et 8 avec des termes comme « Dort » et « Pâle ». Dans ces deux derniers tercets, je les vois avec « il fait un somme» (terme d’autant plus remarqué par son niveau de langue, très relâché), « il dort » … Pourquoi insister autant sur cet endormissement ? S’agit-il, par tous ces euphémismes, de nous tromper pour mieux apprécier ce texte dans une future relecture ? Ou s’agirait-il, au contraire, de nous endormir pour mieux nous réveiller ensuite après la chute du dernier vers ? Toutes les possibilités peuvent à cet instant s’envisager…

  • Le mode conditionne avec «  sourirait » met de plus en plus le doute sur ce qui est réellement en train de se passer… un sourire d’autant plus étrange qu’il est associé à la maladie. Veut-on là nous faire croire que nous ne sommes plus face à un banal endormissement mais à quelque chose de plus grave ?

  • La comparaison « Souriant comme // Sourirait un enfant malade, » rejetée et enjambée , » rejetée et enjambée au vers suivant, avec le respect dû à la versification, rend la phrase hachée et pas forcément immédiatement compréhensible.  Veut-on, par cette lecture laborieuse et peu aisée, rendre désagréable le contexte dans lequel se trouve ce soldat ?

  • L'antithèse au vers «Nature, berce-le chaudement il a froid. » avec les termes « chaudement » et « froid ». Les termes, ici, passent d’autant moins inaperçus qu’ils s’inscrivent dans le vers « tétramètre » le plus pur sur le plan de la versification (« Nature, //1-2-3//berce-le//4-5-6 //chaudement //7-8-9// : il a froid (10-11-12) »). Ces ambiguïtés, sans conteste, amènent le lecteur, par cette ambiance étrange et dissonante, a de plus en plus pressentir la tonalité tragique à venir…

  • La litote au vers 12 « Les parfums ne font pas frissonner sa narine ; » interroge elle aussi le lecteur puisqu’il ne comprend pas tout de suite la raison de ce manque de vie émanant du corps de ce soldat. A l’écoute du nombre d’allitérations en « r », offrant une musicalité gutturale, désagréable et rêche, on devine de plus en plus que les perspectives annonçant son avenir ne sont pas réjouissantes. (ex : parfums / frissonner / narine / dort  / poitrine/ Tranquille. / trous rouges / droit.")

  • Ces perspectives sombres, on les devine enfin dans la métaphore « Il dort dans le soleil » que l’on pourrait rétrospectivement voir comme une allégorie de la Mort… avec ce soleil représentant Dieu ou le Paradis.

 

Ainsi, quand le dernier vers arrive, le lecteur comprend sur le tard par la périphrase métaphorique que les « deux trous rouges » sont des blessures mortelles et que ce qui était annoncé comme un simple sommeil se révèle être en fait une mort : une mort d’autant plus désarçonnante qu’elle est montrée par un corps humain inerte au milieu d’une nature personnifiée, sublimée et, elle, grouillante de vie.

On peut dès lors s’interroger sur les réelles intentions de Rimbaud dans ce poème. S’agit-il, comme bon nombre de poèmes du recueil le Mal » ou « L'Éclatante Victoire de Sarrebrück ») de s’indigner de façon originale sur les désastres et les injustices de La guerre ? A moins que cette mort ne soit qu’un prétexte pour mieux sublimer une Nature et faire de cette dernière un objet poétique propre à dérégler les sens de ses lecteurs ? Ou les deux ?

CONCLUSION

Pour conclure, nous avons vu que ce poème, entre tradition et modernité, offrait à son lecteur une nature magnifiée et sublimée par ses éclats et personnifications. Dans un 2ème axe, nous avons ensuite observé, toujours entre tradition et modernité, que Rimbaud invitait son lecteur à s’immerger au sein de cette nature sensorielle pour mieux épouser ses synesthésies. Dans un 3ème et dernier axe, enfin, nous avons remarqué que cette nature était de plus en plus dissonante, voire ambigüe… sans doute pour mieux annoncer une tragédie à venir : celle de la mort du soldat On peut dès lors associer ce texte à un tableau, comme « L’homme blessé » de Gustave Courbet.

 

     Comme dans le poème de Rimbaud, le soldat de Courbet donne lui aussi l’impression de dormir et a un trou rouge en guise de blessure mortelle. La nature environnante, au regard des couleurs du soir que l’on perçoit au fond, semble étonnamment douce, avec une lumière chaude et claire posée sur son visage. On peut dès lors s’interroger sur la teneur engagée de telles œuvres. Peut-on effectivement qualifiée d’engagée des œuvres où l’artiste ne revendique jamais clairement et nommément leurs opinons antimilitaristes ?

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