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Explication linéaire : extrait de la scène 11 / Juste la fin du monde (Lagarce)

Explication linéaire...

Ci dessous, tu trouveras une explication linéaire du texte en question. Il existe une vidéo (en cliquant ici ou en dessous) où ce même texte est également expliqué... avec en plus quelques outils de méthodes et de compréhension...

LE TEXTE

  Antoine

                                           Juste la fin du monde, Jean-Luc Lagarce, extrait de la scène 11

INTRODUCTION

« Tu crois que tu me connaîtrais parce que je suis ton frère ?»

C’est par cette apostrophe que Antoine fait comprendre à Louis qu’il ne suffit pas nécessairement d’avoir des liens de sang pour avoir des liens de cœur… réflexion fascinante irriguant toute la pièce et nous questionnant sur les teneurs même de ce qui constitue une « famille ». Est-ce effectivement le sang ? Un passé commun ? Des valeurs partagées ? Des pensées régulières que l’on s’adresse les uns les autres ? Autant de questions régulièrement évoquées dans JLFDM, pièce de théâtre publiée en 1990 par le dramaturge JJL, mort 5 ans plus tard. Cette pièce évoque ainsi, entre autres, des thèmes forts comme la famille, la solitude, la mort, l’incommunicabilité et la difficulté de retranscrire, notamment à ses proches, par les mots ce que nous avons sur le cœur. Situé au milieu de la scène 11, l’extrait que nous allons étudier nous montre Louis et Antoine dans un face à face tendu, chacun tentant de clarifier ses volontés – et pour Antoine ses reproches - parasité par la gêne et les non-dits.

Pour une meilleure lisibilité, nous pourrons découper le texte en 2 parties, la première allant du début à la 19ème ligne (« cela ne peut plus l’être »). La 2ème partie, elle, ira de la ligne 20 jusqu’à à la fin (jusqu’à « ce sont aussi des sottises »).

EXPLICATION LINÉAIRE

Dans les 7 premières lignes, l’impression qui domine, à propos d’Antoine, est qu’il semble tiraillé entre ses incohérences – voulues ou involontaires, on ne sait pas trop – et ses sous-entendus.

Qu’est-ce qui me permet de dire cela ?

Et bien… avec ses propos, constamment hachées, par des phrases – ou bout de phrases non-verbales, par des questions interrogatives sans véritable question, par des pronoms indéfinis renvoyant à des éléments flous et imprécis… voire, parfois par des fautes d’orthographe… il est effectivement très difficile de savoir où Antoine veut véritablement en venir. 

Est-il perdu ?

La 1ère ligne en elle-même est déjà un sous-entendu. En disant : « Tu es venu parce que tu l’as décidé », Antoine sous-entend que la venue de Louis n’est pas liée au désir de sa famille qui souhaiterait le voir… mais de sa seule décision. Autrement dit : les désirs de Louis seraient plus forts que ceux de sa famille.

Dans la 2ème ligne le pronom indéfini « cela », renvoie à quelque chose d’indéfinissable. Quel est ce « cela » ? Est-ce que c’est la venue de Louis ? Sa décision ? les 2 ? Autre chose ?

La 3ème ligne ne nous renseigne guère plus : « l’idée, juste une idée » amène le lecteur à se demander : de quelle idée Antoine parle-t-il ? S’agit-il encore de la venue de Louis ? De sa décision ? les 2 ? Autre chose ?

La 4ème ligne, en posant la question « comment est-ce que tu as dit ? » ne peut qu’amener Louis à attendre la réponse à la question de son frère puisqu’on ne sait pas de quoi il parle et à quoi renvoie ce qu’aurait soi-disant dit Louis.

La 5ème ligne, enfin en répondant à la question, égare encore plus le lecteur/spectateur puisqu’on ne voit pas le rapport entre la décision qui aurait été prise par Louis, sa supposée idée et enfin sa potentielle « recommandation » … les liens sont d’autant moins visibles qu’ils sont eux-mêmes parasités par la faute d’orthographe « fait/faite » (et oui, lorsque le COD est avant l’auxiliaire avoir, il faut accorder 😊 !)

Autant de points flous amenant à nous demander si ces imprécisions sont volontaires… ou pas. Si elles sont volontaires, elles nous amènent à croire qu’elles sont là pour perdre Louis et mieux l’amener à lâcher-prise pour enfin écouter les remontrances de son frère dont l’imprévisibilité empêche toute réplique pertinente ou cohérente. Ou alors ces imprécisions ne sont absolument pas voulues et contrôlées et elles nous amènent à dire que Antoine est peut-être tout aussi perdu que son frère. Que sa supposée indifférence (il dira plus tard « ce n’est pas important pour moi ») n’est qu’une façade et que l’aspect embrouillé de son discours montre peut-être, par-delà ses incohérences, que ce frère-là est sans doute beaucoup plus touché qu’il ne veut bien le dire.

La suite du paragraphe montre le même ressenti… sauf qu’il est ici justifié par un champ lexical temporel assez diffus. Un champ lexical d’autant plus contradictoire qu’il mélange le long (« depuis de nombreuses années », répété deux fois, comme une anaphore ; « toujours été comme ça », « depuis le 1er jour ») et il mélange aussi le moins long, voire le court (« à peine parti » ; « aussitôt » ; « subitement » etc.)

Là encore, ce champ lexical antithétique, par rapport au temps, brouille complètement les repères et on peut se demander, dans le mépris total de cette non-concordance, si Antoine, à force d’avoir ressassé ses rancœurs, n’est lui-même pas complètement submergé par les émotions qui le traversent : des émotions contrastées allant de la supposée indifférence… à la tristesse ou la colère. Un brassage de ressentis plutôt contrasté, donc, et montrant, selon moi, un personnage beaucoup plus complexe qu’on ne l’avait appréhendé.

Dans le 2ème axe, ces sentiments me semblent exacerbés et amplifiés. Qu’est-ce qui me permet de le dire ?

Et bien… un certain registre lyrique donnant du souffle à ces propos. J’entends par lyrisme « tout type de texte où le poète chante ses émotions personnelles ».

Le côté lyrique – chantant – pourrait donc se voir ici par l’écriture versifiée, tout en vers irrégulier… mais aussi dans les anaphores « tu » qui démarrent sur au moins 7 vers (« tu ne te disais rien », répété trois fois, « tu ne pensais pas », « tu m’as vu », « tu crois me connaître », « tu me connaîtrais » etc.). Il y a donc bien une certaine rythmique… dans les propos d’Antoine… et cette rythmique, cette forme de mélodie - -on appelle aussi cela de la prosodie – montre aussi tout ce qui les sépare par une sorte d’antithèse : « tu ne te disais rien, je sais, je vois » : le « tu » contre le « je », la négation contre l’affirmation.

Deux mondes radicalement opposés sépareraient donc les deux frères… une séparation d’autant plus forte qu’elle semble à son apogée, par la question finale, sous forme de question rhétorique : une question brutale, tranchante et sans appel : « tu me connaitrais parce que je suis ton frère ? »

Pour conclure, nous pouvons donc dire que cet extrait est constitué d’une longue tirade prononcée par Antoine évoquant sa colère, sa tristesse et ses 4 vérités à son frère Louis, incapable de dire la vraie raison de sa venue. Ces remontrances sont d’autant plus rudes, que l’on sait, par une sorte d’ironie tragique, ce que le personnage ne sait pas : Louis était venu pour annoncer sa mort… et à défaut de pouvoir la confier, il recevra une sorte de fin de non-recevoir par son frère Antoine, incapable, comme tous les autres personnages de dire ce qu’il avait vraiment au fond de son cœur. Cette scène brasse ainsi des thèmes chers à JLL comme la mort, la solitude et la difficulté de dire réellement ce que l’on ressent, ce que l’on pense, par-delà les mots. Ces thématiques ne sont pas sans rappeler celles du film du même nom, de Xavier Dolan et sorti en 2016. Dans l’extrait de ce même passage, les mêmes outils littéraires sont également utilisés, montrant ainsi, après la littérature et ensuite le cinéma, que les personnages de Louis et Antoine ont acquis une véritable portée universelle, une portée d’autant plus symbolique qu’elle ne se résume pas à simplement montrer deux frères en pleine perte de repères, incapables d’aller au-delà de leur peur pour se dire les choses mais bien de montrer deux êtres, comme nous parfois, dépassés par leurs ressentis, submergés leurs non-dits et écrasés par le poids familial...

… d’où la question, en creux, que l’on pourrait se poser pour faire honneur à ce passage et à toute la pièce en général :

Si Antoine semble montrer à son frère un réel masque d’indifférence, ne peut-on néanmoins pas voir, par-delà sa tristesse et sa colère, ne peut-on néanmoins pas voir… une forme d’amour qui ne dit pas son nom ?  

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