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Explication linéaire : Élévation / Les fleurs du Mal
(Baudelaire)

Explication linéaire...

Ci dessous, tu trouveras une explication linéaire du texte en question. Il existe une vidéo (en cliquant ici ou en dessous) où ce même texte est également expliqué... avec en plus quelques outils de méthodes et de compréhension...

LE TEXTE

                Élévation

 

Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées,
Des montagnes, des bois, des nuages, des mers,
Par delà le soleil, par delà les éthers,
Par delà les confins des sphères étoilées,

Mon esprit, tu te meus avec agilité,
Et, comme un bon nageur qui se pâme dans l'onde,
Tu sillonnes gaiement l'immensité profonde
Avec une indicible et mâle volupté.

Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides ;
Va te purifier dans l'air supérieur,
Et bois, comme une pure et divine liqueur,
Le feu clair qui remplit les espaces limpides.

Derrière les ennuis et les vastes chagrins
Qui chargent de leur poids l'existence brumeuse,
Heureux celui qui peut d'une aile vigoureuse
S'élancer vers les champs lumineux et sereins ;

Celui dont les pensers, comme des alouettes,
Vers les cieux le matin prennent un libre essor,
- Qui plane sur la vie, et comprend sans effort
Le langage des fleurs et des choses muettes !


    Charles Baudelaire - Les Fleurs du mal

INTRODUCTION

« Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides »

 

C’est par ces termes que le poète implore son esprit pour mieux se défaire de toute cette gangue terrestre qui le broie vers la terre et le cheville à ce Spleen, ce fameux « mal du siècle » broyant de nombreux artistes, comme Baudelaire, au milieu du XIX ème siècle… Ce poème est composé de 5 quatrains en alexandrins. Troisième poème de l'œuvre « les Fleurs du Mal », il ressemble sous plusieurs aspects à une forme d'initiation où il sera question de cerner le monde, écartelé entre le Spleen et l’idéal mais aussi la boue et l’or… A caractère lyrique, voire élégiaque, « Élévation », semble s'écouler petit à petit de l’Idéal à un spleen typique de l'univers de Baudelaire. Le poète conclut ainsi son entreprise sur un constat d’échec, un échec qui sera néanmoins contrebalancé par la magie qui se dégage du poème, une magie largement rendue possible par la mission symboliste que le poète s’est lancée en transcendant son mal-être par le lyrisme poétique, seul support lui permettant de supporter le poids de cette « existence brumeuse ».

 

Pour la fluidité de mon explication, je découperai le poème en 4 axes :

 

  1. L’ambiguïté du texte à travers la seule analyse du titre.

  2. Le voyage tout en douceur, porté par le lyrisme du texte (2ères strophes)

  3. Un voyage mental et hypnotique… pour mieux dérégler les sens du lecteur… grâce aux synesthésies. (3ème strophe)

  4. Vers un échec de cette supposée élévation. (Les deux dernières strophes)

EXPLICATION LINÉAIRE

Dès la lecture du titre de ce poème, ma première impression relève du doute ou du trouble… de par les différentes significations que l’on peut prêter au mot « élévation » …

 

Qu’est-ce qui me permet de dire cela ? 

 

Le titre « élévation » renvoie ici à une polysémie.

 

Il pourrait effectivement tout aussi bien renvoyer à un voyage physique/géographique… où le lecteur serait invité à bouger pour mieux se hisser vers le haut (on le voit à travers le champ lexical de la nature comme avec les termes :

 « étangs, vallées,
montagnes, bois, nuages, mers,
soleil, nageur onde 
»

 

Mais ce voyage peut aussi se considérer comme une aventure mystique/spirituelle (« l’élévation » est cet instant de la messe où le prêtre élève l’hostie). Les deux dimensions de ce voyage feraient donc de cette élévation une épopée « totale » où le corps s’associe à l’esprit et où les mots feraient office de carburant pour atteindre les hauteurs spirituelles auxquelles l’auteur souhaite accéder.

 

Dans les 2ères strophes, le voyage décrit par le poète parait bien doux, bercé par une musique légère et agréable. Par les anaphoresAu-dessus des étangs, au-dessus des vallées, Par-delà les confins des sphères étoilées, ») et les rimes embrassés (« é/er/er/é) mettant en évidence les hémistiches de chaque alexandrin, impossible de ne pas voir le travail rythmique du poème ainsi que le travail sonore.

 

Ce lyrisme, à mes yeux, transfigure largement le cadre spatial de cette élévation, largement mis en lumière par le champ lexical de la nature, précédemment évoqué. Un champ d’autant plus visible par les énumérations aux vers 2-3-4 et qui trouve son apogée dans des comparaisons mélioratives, (« Et, comme un bon nageur qui se pâme dans l'onde ») et des hyperboles Tu sillonnes gaiement l'immensité profonde ») faisant ainsi de ce voyage une épopée grandiose et enivrante.

 

Dans un troisième axe, la troisième strophe me donne l’impression que ce voyage se transforme en un périple « psychique », hypnotique… jouant des contrastes pour mieux dérégler et déconditionner les sens du lecteur.

 

Sur quels critères puis-je affirmer cela ?

 

Dès la strophe précédente, en dissociant « mon » et « tu », Baudelaire opérait déjà une antithèse, comme s’il séparait le corps de l’esprit. Était-ce là une tentative pour mieux vivre un état modifié de conscience ? Dans le même processus, nous pouvons voir des synesthésies

 

Une synesthésie, c’est quoi ?

 

La synesthésie, cela peut être voir un son, entendre une couleur, goûter une odeur…

 

Très fréquente dans la poésie, elle permet souvent aux poètes de dérégler « notre machine à ressentir » un peu trop sage… Confondant deux sens a priori inconciliables (ouïe/vue, goût/vue etc.), elles nous obligent à voir/entendre/ressentir autrement le texte (et donc le monde !) qui nous entoure !

 

Un exemple dans le poème de Baudelaire ?

 

Dans tout le poème, une grande importance est accordée aux sens : le goût (v11 « Bois comme une pure »), le toucher (v14 « qui chargent de leur poids »), l’ouïe (v22 « muette », « langage »), la vue (v12 « feu clair », « limpide »), l’odorat (v9 « miasme morbide »). Le mélange de tous ces sens fait donc d’« Élévation » un grand poème synesthésique donnant ainsi à cette élévation idéale un aspect qui n’est pas seulement symboliste mais presque magique, invitant le lecteur à tenter de faire de même…

Cette vision synesthète trouve d’ailleurs son apogée, selon moi, pas seulement dans le mélange des 5 sens, déjà évoqué, mais aussi dans le mélange des 4 éléments…

En mélangeant effectivement les éléments (air/terre/air puis eau/feu/air)

Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides,

Va te purifier dans l’air supérieur

Et bois comme une pure et divine liqueur

Le feu clair qui remplit les espaces limpides

 

Baudelaire dérègle notre machine sensorielle… sans doute pour :

 

  • Mieux nous aider à ressentir autrement ce qui nous entoure

  • Mieux nous aider à nous déconnecter de notre sphère logique et rationnelle

 

  • Par un fort héritage symboliste, le poète se fait ainsi le défricheur des mondes invisibles pour aider son lecteur à se déconnecter et ainsi mieux décrypter les symboles que ne voient pas le commun des mortels…

 

Les 4ème et 5ème strophe semblent montrer le point culminant de cette déconnexion, sous-entendant déjà un probable échec annoncé.

 

Sur quels critères puis-je affirmer cela ?

 

  • La disparition de la seconde personne (visible dès le vers 5, qui disparait à la 3ème strophe) caractérise cette situation, et l'apparition d'impératifsEnvole-toi"/va te purifier») montre bien que pour s'évader et se sortir de cette détresse, l'auteur n'a que peu de possibilités. Voulait-il trop se convaincre que cela était possible alors que pas du tout ? Quelle que soit la réponse apportée à cette question, nous constatons que de la 2ème personne, le poète passe à la 3ème personne en utilisant par trois fois l’anaphore "Heureux celui qui" (+ [heureux]« celui dont» + [heureux celui]« qui plane». L'élévation semblerait donc impossible, du moins pour l'auteur qui resterait prisonnier de la société, de son chagrin… puisqu’en disant « heureux celui qui », nous comprenons, finalement, que le poète s’exclut de ce bonheur auquel il se croyait pourtant associé au départ !

 

  • Après avoir exprimé l'idéal, le bonheur et le bien-être, le poème se tourne vers le spleen avec des champs lexicaux s'opposant à ceux au début du poème. Le champ lexical de la mélancolie est à remarquer : « « poids » … rejet d’autant plus fort que ces sentiments négatifs sont soit personnifiés (les ennuis "chargent de leur poids"), soit hyperbolisés vaste chagrin », « existence brumeuse »)

 

  • Après l’unité et l’harmonie des débuts, le poète semble vouloir montrer la dualité et l’écartèlement en soulignant certaines turbulences concernant la fin de son voyage… comment peut-on effectivement s’élancer –monter- vers des champs- à la base plutôt bas ? //Comment peut-on glorifier les mots en tant que poète pour finir –dernière expression – par glorifier « les choses muettes » -qui se passent des mots ?)

 

Ce dernier vers, définitivement, explicite cet écartèlement et me fait réfléchir sur la meilleure façon de déclamer ce type de poème…

 

  • Faut-il insister sur le pathétique en mettant le mieux possible en évidence cette longue gradation évoquant le spleen de plus en plus présent ?

 

  • Faut-il au contraire laisser le lyrisme le mieux en évidence pour montrer, quoi qu’il arrive, la victoire des mots sur la tristesse de faits ?

 

  • Un mélange des deux ?

CONCLUSION

 

Pour conclure, nous avons donc vu que de l'idéal jusqu'au spleen, le poème "Élévation" rend compte des difficultés à maintenir un idéal, une situation de bonheur. Il amène ainsi à un spleen qui s'inscrit dans un véritable échec envers la société et le monde en général et qui ramène l'auteur à sa condition d'homme, rappelant ainsi son statut de poète maudit. Tout comme dans « Une charogne », le poète se sert ici d’un matériau de base pour mieux en faire l’objet d’une réécriture : un cadavre d’animal permettait de mieux réinventer le topos du « Tempus fugit » … Le spleen le ramenant à la terre, pour sa part, l’aide à mieux réinventer la poésie afin de mieux transcender son malheur et faire de celui-ci un pur sujet esthétique.

[Très impressionnant]

Cette nouvelle façon de concevoir la poésie pourrait encore mieux s’imaginer dans le tableau de Caspar Friedrich intitulé « Le Voyageur contemplant une mer de nuages », peint en 1818, et où nous observons là aussi une élévation.

Cette nouvelle façon de concevoir la poésie pourrait encore mieux s’imaginer dans le tableau de Caspar Friedrich intitulé « Le Voyageur contemplant une mer de nuages », peint en 1818, et où nous observons là aussi une élévation.

 

Une élévation dont on ne saurait trop dire si elle est belle, mélancolique et douce, grâce aux magnifiques jeux des couleurs qu’offre un tel panorama…

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