Olivier Cochet, coach scolaire et thérapeute,
Hypnose, PNL, rêves, art-thérapie,eft...
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Explication linéaire : Le pont Mirabeau / Alcools
(Apollinaire)
Explication linéaire...
Ci dessous, tu trouveras une explication linéaire du texte en question. Il existe une vidéo (en cliquant ici ou en dessous) où ce même texte est également expliqué... avec en plus quelques outils de méthodes et de compréhension...
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TEXTE
Le Pont Mirabeau
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu’il m’en souvienne
La joie venait toujours après la peine
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l’onde si lasse
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
L’amour s’en va comme cette eau courante
L’amour s’en va
Comme la vie est lente
Et comme l’Espérance est violente
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
Guillaume Apollinaire, Alcools, 1913
INTRODUCTION
« Comme la vie/est/lente
Et comme l’Espérance est vi/o/lente »
VI-O-LENTE et VIE-EST-LENTE : Deux sonorités quasiment identiques pour évoquer deux idées complètement antithétiques : lenteur de la vie contre violence du désir, brusquerie de l’existence face au surplace de nos espoirs, souvent déçus. On n’en comprendra que mieux, par ces facéties, le fait que le pont Mirabeau soit sans doute le poème le plus connu d’Apollinaire. Il est paru dans le recueil Alcools, édité en 1913. Son thème et sa forme rappellent les chansons anciennes dont il emprunte d’ailleurs les rimes.
Vue d’un pont parisien, la Seine figure ici l’irréversible mouvement de la vie et de l’amour. Amant malheureux, Apollinaire voit se refléter dans le fleuve l’image de son destin. Imprégnée d’un fort lyrisme, constamment présent, la contemplation de la Seine aboutit donc à une méditation, tour à la fois pensive et douce, triste et fataliste, sur son propre sort.
Pour la fluidité de mon explication, je découperai le poème en 4 axes :
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Le 1er axe comprendra la 1ère strophe et son refrain montrant une cassure et un trouble certain.
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Le 2ème axe, lui, comprendra la 2ème strophe et ce même refrain évoquera la mélancolie de plus en plus prononcée se dégageant de la relation que noue le poète avec la femme aimée.
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Le 3ème axe, pour sa part, comprendra la 3ème strophe et ce même refrain évoquera la violence et le désespoir nés de cet amour comme de plus en plus évident.
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Le 4ème axe, enfin, comprendra la 4ème strophe et ce même refrain évoquera le fatalisme
EXPLICATION LINÉAIRE
Dès les premiers vers, l’impression qui semble se dégager du texte est une impression de cassure, portée par un trouble assez profond.
Qu’est-ce qui me permet de dire cela ?
Et bien… la structure même du poème trouble nos sens – sans doute pour mieux nous aider à ressentir ce même trouble vécu par le poète - puisque visuellement, je vois un quatrain revenant bien 4 fois à la ligne…
Or, sur un plan sonore… qu’est-ce que j’entends ? J’entends un tercet, aidé par la rime en [aine] revenant trois fois de façon régulière toutes les dix syllabes !
S’agirait-il là d’un outil surréaliste pour mieux déconditionner notre conscient ?
Ce qui est sûr, c’est que ce trouble nous permet d’encore mieux ressentir cette brisure, créé entre le vers 3 et 4, qui exprime justement la cassure du lien amoureux… cassure dont le poète fait état durant tout le poème.
Nous rappellerons juste, au préalable, que la strophe faisant office de couplet ne fera qu’accentuer, tout le long du poème, ce trouble par le jeu des antithèses présentes durant toutes ces premières lignes…
On l’aperçoit également par l’énonciation avec la dualité évoquée dans les modes : subjonctif, mode de l’irréel dans le 1er vers… Indicatif, mode du réel, dans le 2ème.
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu’il m’en souvienne
La joie venait toujours après la peine
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
Dans le 2ème axe, l’impression qui domine est la mélancolie de plus en plus prononcée se dégageant de cet amour.
Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l’onde si lasse
Au-dessus du pont de pierre, voici soudain un pont de chair, formé de deux bras ; il s’agit là d’une métaphore. Attitude d’union ou de séparation ? La syllabation répète cet équilibre de la rencontre des deux amants (deux fois cinq syllabes) Mais la Seine répond à cette question : l’onde est si lasse des éternels regards, nouvelle figure de style – ici une personnification - qui répond à la réflexion posée. Cette réponse, du reste, s’explicitera largement dans la strophe qui suit :
Dans le 3ème axe, il me semble en effet que la violence et le désespoir nés de cet amour est de plus en plus évident.
Comme évoquée lors de l’introduction, le poète joue ici sur des sonorités quasiment identiques portées par des mots signifiant des choses radicalement opposées. Écoutons cette strophe :
L’amour s’en va comme cette eau courante
L’amour s’en va
Comme la vie/est/lente
Et comme l’Espérance est vi/o/lente
VI-O-LENTE et VIE-EST-LENTE / Deux sonorités quasiment identiques (on appelle cela une paronymie) pour évoquer deux idées complètement antithétiques : lenteur de la vie contre violence du désir, brusquerie de l’existence face au surplace de nos espoirs, souvent déçus. Cet écartèlement, pour ma part, me semble d’ailleurs largement amplifié par l’anaphore et personnification « l’amour s’en va », faisant par de fois du sentiment amoureux quelqu’un qui fuit. Nous pouvons également repérer la comparaison « comme cette eau courante » où l’amour, là encore, est associé à quelque chose qui fuit, qu’on ne peut attraper et qui finira toujours, quoi qu’il arrive, par nous échapper.
Dans le 4ème et dernier axe, l’impression que j’ai, c’est que cet amour prend des airs tragiques et fatalistes.
Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
On remarquera effectivement, par le jeu des anaphores, la construction inversée (« passent les jours » au lieu de « les jours passent »). Cette inversion a selon moi pour effet, tout comme la répétition du verbe passer, de mettre en valeur le constat de l’inévitable fuite du temps. Pour Apollinaire, il serait donc complètement illusoire de vouloir revenir en arrière ; le cours du fleuve, allégorie du temps ou de l’amour, ne pourra jamais s’inverser. Le seul retour possible, c’est celui du vers (ex) vers qui fait écho au premier… comme si le poète n’avait que la poésie, finalement, pour faire une boucle. Une boucle non plus temporelle mais poétique où l’auteur pourra à loisir ressasser son malheur mais aussi la douceur de ses mots, seule consolation pouvant le bercer de sa tristesse amoureuse…
CONCLUSION
Pour conclure, nous avons donc vu que ce poème reprend des éléments très traditionnels comme la fuite du temps et les amours déçues mais il présente aussi des éléments nouveaux, comme la cassure du deuxième vers de chaque strophe, avec les effets d’enjambement, l’absence totale de ponctuation, ce qui le met à la fois du côté de la langue ancienne qui ne comportait pas de ponctuation, libérant l’interprétation et la façon de déclamer le texte. Une déclamation qui pourrait aussi bien aller de la mélancolie à l’espoir, de la violence à l’acceptation, voire la résignation C’est sans doute cette richesse d’interprétations possibles, doublée par la simplicité de ce poème que Le pont Mirabeau est le texte le plus connu d’Apollinaire… d’où la multiplicité des interprètes les plus divers qui se sont laissé fasciner par la musique et les réflexions se dégageant de ces vers. En disant cela, je pense notamment à Marc Lavoine, le groupe Pow Wow mais aussi et surtout Léo Ferré :
On peut dès lors se demander si cette musicalité – ou plutôt ces musicalités – invite(nt) à la mélancolie qu’inspire le sentiment amoureux ou bien plutôt à la douceur qu’offre le lyrisme émanant des mots.
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